Du côté des Jeunes Reporters : la folie
Immersion dans les réalisations des Jeunes Reporters.
Quatre thématiques pour les parcourir : la folie, la mort, l'identité, les origines.
Dans les yeux des Jeunes Reporters
Partir sans soi, s'effacer de sa propre chair.
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Eline Guez
Souffler un vent de folie
Un moment d’improvisation tire peut-être sa beauté de la fragilité du moment encore incertain. Cette beauté-là, Isabelle Lafon et Johanna Korthals Altes l’ont bien su capter, je pense, dans Je pars sans moi, où le spectacle prend la forme d’un dialogue qui paraît pouvoir basculer à n’importe quel moment dans la folie ou le loufoque. Un dialogue qui se laisse voir en construction, hésitant et balbutiant, à l’écoute de l’instant présent.
La pièce baigne dans une sorte de flottement, d’instant de grâce où les actrices et leurs personnages se fondent et se confondent. Les actrices disent à la fois « elle » et « je » je en parlant d’une autre, et on ne sait pas parfois où est la limite entre la comédienne qui est présente sur le plateau et la figure jouée. Les mots eux-même s’en mêlent et s’emmêlent.
De cette espèce d’indécision, de cette impression d’un spectacle à la fois très maîtrisé et en constante improvisation, nous sommes saisis par l’émotion, parfois entre rire et larmes, saisis par le vent de folie que fait souffler sur nous Isabelle Lafon.
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Anonyme, le lendemain de la première
Témoigner silencieusement
Des têtes passent dans l’entre-baillement des gradins, un peu inquiètes, elles se demandent ce qu’elles font là. Où sont-elles ? Pas encore sur scène mais cela ne devrait pas tarder. Elles se sont placées pour prendre le public sur leur épaule et l’emmener avec elles. Le voyage sera mouvementé. Elles transportent le spectateur entre deux époques, entre différents personnages parfois seulement suggérés, entre les différentes théories de la psychiatrie et sa pratique actuelle.
Mademoiselle F vient du XIXe siècle, à cette époque elle erre entre les lits, les couloirs et les portes systématiquement closes. Mademoiselle F nous fait peur, cette époque nous fait peur. Elle relaie nos fantasmes, nos frayeurs, notre pensée commune sur la psychiatrie, ces époques où les fous étaient enfermés à l’écart de la société, interdits d’y prendre part. La société a évolué, la psychiatrie institutionnelle s’est développée, les fous sont entrés dans la société. Nous avons peur des fous. Nous changeons de trottoir.
Nous détournons le regard. Pourtant l’argent, la rentabilité et parfois une idéologie de psychiatres qui se croient au-dessus des malades ont détérioré la psychiatrie. Les fous témoignent silencieusement de ce déraillement, plus l’institution ne trouve plus ses railles plus eux ne savent plus sur quelle raille danser. Ils nous font peur parce qu’ils sont malades, mais, ils nous font aussi peur parce qu’ils incarnent les dysfonctionnements internes de notre société sur lesquels nous avons peu de prise, comme eux ont peu de prises sur leur maladie
Elles sont deux. De quoi dialoguent-elles ? Elles ne dialoguent pas elles conversent. Alors de quoi conversent-elles ? Elles conversent de ses fous, certains vus sur des photos, d’autres entendus et écoutés. Elles ne dialoguent pas entre elles mais les voix des fous dialoguent en elles. Ils revivent à travers elles.
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Anonyme
Atelier avec Isabelle Lafon