Andrei Platonov
auteur (1899 - 1951)Fils d’un ouvrier des ateliers du chemin de fer, Andreï Platonovitch Klimentov, qui a choisi Platonov pour son nom d’écrivain, est né à Voronej en 1899. Le tout début de son âge adulte coïncide avec la Révolution russe et la guerre civile dans laquelle il s’engage avec élan et conviction du côté des Rouges.
Il reçoit une formation d’ingénieur agronome une fois la paix civile rétablie puis, en 1927, s’installe à Moscou. Il se lie au groupe littéraire Pereval (Le Col)..
Platonov s’est fait connaître en 1927 par la publication d’un important recueil de nouvelles, Les Écluses d’Epiphane. Mais à partir de 1929, il se heurte à une hostilité de plus en plus violente du pouvoir stalinien en formation : son roman Tchevengour, roman d’une utopie sociale de « capteurs de soleil » qui tourne mal, est refusé à la publication, et nombre de ses œuvres resteront désormais à l’état de manuscrits, comme La Fouille et Djann.
Correspondant de guerre pendant la Deuxième Guerre mondiale, son récit La Famille Ivanov, publié en 1946, lui attire une nouvelle fois les foudres de la critique officielle du régime qui y voit surtout une « grossièreté répugnante » fait de « cynisme et de ténèbres morales ». Il est vrai qu’il a toujours manifesté un goût lyrique, fantastique et satirique, et qu’il a inventé pour cela une langue spécifique ; son goût et son style sont aux antipodes de l’art officiel et même lorsqu’il bride son imagination dans le désir bien naturel de survivre au terrorisme intellectuel de l’ère stalinienne, ses penchants rédhibitoires et « criminels » percent malgré tout.
Platonov est mort en 1951 de la tuberculose, contractée au retour de son fils unique, qui l’avait lui-même contractée dans les camps de Staline.Son œuvre a été découverte progressivement à la suite des différents dégels de la société soviétique depuis Kroutchtchev.Henri-Alexis Baatsch
« Une image s’est tout d’abord imposée, concernant la jeunesse de Platonov. C’est celle d’une dualité, inscrite dans les lieux mêmes où il a vécu. Voronej est une ville qui semble avoir été crée entre deux univers, celui des steppes et celui des terres noires. Elle est soumise à leurs forces contraires : un été de sécheresse fait rapprocher la steppe qui s’empare alors des campagnes dévastées par l’aridité. Mais la région peut, à l’inverse, se transformer en terres fertiles grâce à l’irrigation ; le fléau alors disparaît. Il en va de même du quartier où est né Platonov, avec ses ruelles bourbeuses et ses maisons de bois : il est, lui aussi, lieu de confrontation. Ce faubourg (jamskajo Sloboda) où affluaient les paysans en quête de travail. Ils y rencontraient là des ouvriers-artisans qui s’y étaient installés, à proximité des ateliers. On trouve cette même image de fusion des deux mondes dans l’activité de l’écrivain. Avant d’être celle de la littérature, l’œuvre de Platonov, jusqu’en 1926, est celle de la bonification des terres et des travaux hydrauliques : il constitue des brigades mixtes, où paysans et ouvriers coopèrent pour construire des barrages et drainer les rivières.
C’est donc dans le rôle et la place du médiateur qu’apparaît Platonov : comme dans les mythes, il est celui qui s’interpose entre les forces contraires. L’idée bolchévique de la « fusion des classes » et du « monde nouveau » trouve en lui naturellement un adepte fervent qui la met en pratique. Cette vision de l’utopie d’abord vécue par lui avant de devenir objet de son écriture doit être soulignée. Entre les classes sociales, entre ville et campagne, entre rivières et steppe, il est le héros mythique chargé de résoudre les grandes contradictions du monde. »
Annie Epelboin