Hommage à Edward Bond

« Vous êtes assis, et vous regardez la scène
Vous avez le dos tourné
À quoi ? »

Ainsi débute l’exhorte poétique d’Edward Bond … « AU PUBLIC » ! traduit par Véronique Béghain et Michel Vittoz qui, en quelques mots, résume vingt années d’histoire entre l’immense poète et dramaturge qui nous a quitté le 3 mars et le Théâtre de La Colline sous les directions de Jorge Lavelli et d’Alain Françon.

D’abord avec « Summer » (1991), « Maison d’arrêt » (1993) et « Mardi » (1995), dans les mises en scène de René Loyon, Jorge Lavelli et Claudia Stavisky. L’audace et la curiosité sans limite de ces metteurs en scène, fins lecteurs et découvreurs de talents faisant fi des frontières, des langues, des pensées complexes pas toujours entendues de leurs contemporains. Dans ces années 90, rue Malte-Brun Paris 20ème, on invitait le public à célébrer le théâtre au quotidien, à se laisser surprendre, à entendre toutes paroles aussi déroutantes fussent-elles venir de l’étranger dans une confiance à la relation qu’un théâtre peut avoir à son public. Non pas dans l’instant mais dans le temps long que requiert la découverte, celle d’une œuvre.

Et longue fut la relation d’Edward Bond au public de La Colline grâce à Alain Françon qui y présenta six de ses textes, tous traduits par Michel Vittoz (2000 « Café », 2001 « Le Crime du XXIème siècle », 2003 « Si ce n'est toi », 2006 « Naître », 2008 « Chaise ») et reprit en 1997 « Dans la compagnie des hommes » avec Jean-Luc Bideau, Jacques Bonnaffé, Carlo Brandt, Gilles David, Jean-Yves Dubois et Jean-Paul Roussillon au plateau. Il est encore possible de visionner le film qu’Arnaud Desplechin a tiré de cette pièce dans un chef d’œuvre du cinéma d’auteur « Léo, en jouant Dans la compagnie des hommes » avec Sami Bouajila, Anne Consigny, Hippolyte Girardot, Anna Mouglalis, Jean-Paul Roussillon, Bakari Sangaré, Wladimir Yordanoff. La seule lecture de ces distributions comme celles des productions de toutes les œuvres d’Edward Bond à La Colline des dix années qui ont suivies, avec Anne Alvaro, Stéphanie Béghain, Yoann Blanc, Léna Bréban, Eric Caravaca, Rodolphe Congé, Clovis Cornillac, Luc-Antoine Diquéro, Eric Elmosnino, Vincent Garanger, Cécile Garcia-Fogel, Pierre-Félix Gravière, Guillaume Lévêque, Victor Gauthier Martin, Lisa Pajon, Lionel Tua, Dominique Valadié, Abbès Zahmani … mettent au défi nos labels de parité, d’égalité, de diversité, dans l’élégance ultime de ne citer que ces noms d’artistes.

« Quelque chose s’est passé au Théâtre de la Colline, mes pièces traitent des effets que produit le savoir moderne sur nos vies sociales, psychologiques et politiques. Elles n’ont pas à le faire bien. Qu’elles le fassent dans notre théâtre contemporain est déjà suffisant. » écrivait Edward Bond le 9 juin 2000, extrait d’une foisonnante correspondance avec les équipes du théâtre.

Alain Françon a su inscrire ces mots, tout comme la langue d’Edward Bond, dans le bel aujourd’hui de La Colline des années 2000 résonnant désormais comme un rêve pour demain. Qui nous rappelle cette règle qui veut qu’un auteur de théâtre ne passera jamais à la postérité s’il n’est joué de son vivant. C’est la noble mission que le ministère de la Culture a confiée à La Colline.

Nous pensons aujourd’hui avec beaucoup d’émotion à Edward Bond, et ses proches et avec ferveur à toutes celles et tous ceux qui ont permis d’entendre ses messages féroces, drôles, terriblement lucides sur notre société occidentale, et ces poèmes dont celui « AU PUBLIC » qui s’achève ainsi :

« Sur la scène les acteurs parlent et imitent la mort
Vous devez résoudre leurs problèmes dans votre vie
Souvenez-vous
Qu’ils donnent à voir les morts à venir »

Hommage à Edward Bond
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